Kyrios
30/12/2005, 12h03
Voici un article sur la psychothÈrapie, basÈ sur une critique de livre.
PlutÙt pertinent.
Actua-Psy, le journal des psychothÈrapeutes - N∞ 119
Comment choisir son psychothÈrapeute ? Attention risque de pratiques dÈviantes !
Par Martine Maurer Lecture critique de Patrice Ranjard
Comment choisir son psychothÈrapeute ? Le titre est excellent. Il a probablement fait vendre. On peut le craindre, car le livre ne tient pas la promesse du titre. Le vrai titre serait : Il faut interdire ‡ certains pervers dangereux de se dire psychothÈrapeutes. Au reste, lauteure le dit dans sa conclusion (p.287) : Il nest pas acceptable que des professions estimables servent de laisser-passer ‡ des leaders pathologiques qui embrigadent les patients dans des dÈrives perverses ou sectaires.
Le plus gros du livre Èvoque les choses effarantes dont sont capables des pervers une fois quils ont attirÈ des clients en se disant psychothÈrapeutes. Mais tout est faussÈ dËs le dÈpart par un clivage prÈalable qui oppose ces pseudo-professionnels aux vrais professionnels. Or les moyens donnÈs au lecteur de distinguer les uns des autres sont trompeurs. Du cÙtÈ des vrais professionnels lauteure place les psychiatres et les psychologues cliniciens, plus une catÈgorie quelle nomme les psychothÈrapeutes NMNP, ni mÈdecins ni psychologues. Dont elle fait provisoirement partie, puisque, daprËs la quatriËme de couverture, elle est inscrite en DESS.
Je ne peux que me rÈjouir de voir prise en compte une catÈgorie dont je fais Ègalement partie. Lennui cest que, selon cette classification, les pervers font forcÈment partie de cette mÃme catÈgorie, puisquils sont de pseudo professionnels et que les diplÙmÈs sont de vrais professionnels. Ce nÈtait peut-Ãtre pas lintention consciente de lauteure, qui Ècrit p.46 que les dÈviances rÈpertoriÈes touchent des individus issus des trois catÈgories de praticiens, mais cest ce qui ressort de son livre : les diplÙmÈs sont fiables, ils ne sont jamais fous ni pervers.
AprËs un bref hommage ‡ quelques bonnes pages, je prÈsenterai le clivage et sa fonction, puis le dogmatisme de louvrage et ses dangers et enfin les solutions prÈconisÈes par lauteure.
Quelques bonnes pages.
Une bonne dÈfinition de la psychothÈrapie (p.22), de pertinentes questions sur la formation dans les Ècoles (p.45), une observation sur lÈtonnante capacitÈ des clients ‡ sadapter ‡ des comportements pourtant vraiment inadmissibles (p.122) et un excellent chapitre sur les contraintes, engagements et abus financiers : Le patient na pas ‡ Ãtre soumis ‡ des exigences de durÈe ( ). Le patient na pas ‡ Ãtre soumis ‡ des obligations de financements anticipÈs ( ) (p.123). Mais lauteure ne semble pas sapercevoir que ce chapitre contient de prÈcieux ÈlÈments de rÈponse ‡ la question du titre : des questions ‡ poser avant de sengager.
Un clivage protÈgeant les diplÙmÈs
La plus grande partie du livre est consacrÈe ‡ dÈcrire des pratiques inacceptables. Quelques exemples : la prÈdation du transfert, manipulation mentale, abus financiers, lÈtau de la fidÈlitÈ, rapt du thÈrapeutique, processus dÈlirants Ces personnes dÈviantes opËrent une cannibalisation du transfert, une dÈvoration de la pensÈe dautrui (p.70). La grandiloquence hystÈrique ou narcissique du pseudo-thÈrapeute ou ses ÈlÈments psychotiques envahissent le champ de rÈflexion et de mise en sens du patient (p.55). Il semble que lauteure rËgle des comptes : on sent de la haine. Les exemples sont nombreux, convaincants, mais souvent longs et leur origine est maintenue dans le flou : certains sites, plusieurs lieux. Ce nest pas quon en doute, et lon peut comprendre les prÈcautions (risques de procËs), mais il y a tout de mÃme quelque chose de gÃnant ‡ se voir assÈner des exemples sans que rien ne soit dit du mode de recueil des informations.
Il existe donc des pervers dangereux qui se disent psychothÈrapeutes. Mais ‡ quoi les reconnaÓt-on ? Le livre les dÈcrit, mais ses descriptions ne pourraient Ãtre utiles qu‡ des patients dÈj‡ engagÈs avec ces pervers. Or, sils y sont encore, cest quils ont prÈfÈrÈ sadapter ! Pour ceux qui nont pas encore choisi, le livre contient un syllogisme, explicite dËs les premiËres pages, et en filigrane tout au long :
1 les pervers dangereux sont des non-professionnels ou des pseudoprofessionnels.
2 les diplÙmÈs sont des professionnels, ils ne sont pas des pseudoprofessionnels.
3 donc les diplÙmÈs ne sont pas des pervers dangereux.
Lauteure dÈfinit dans une note les non-professionnels : personnes se disant psychothÈrapeutes et nayant aucune formation, supervision et thÈrapie personnelle associÈes (sic) (n.17 p.35). Selon cette dÈfinition, les diplÙmÈs, qui sont de vrais professionnels ont formation, supervision et thÈrapie personnelle. Or daprËs lauteure elle-mÃme, ce nest pas exact : Certains psychologues cliniciens exercent uniquement ‡ partir de leur savoir thÈorique ( ). Certains recourent ‡ de la supervision rÈguliËre ( ). Actuellement, pour les psychologues cliniciens, il ny a pas dobligation de psychothÈrapie personnelle ( ) (p.32). Il faudra attendre la fin du livre pour dÈcouvrir que lauteure napprouve pas cela, et prÈconise thÈrapie personnelle et supervision pour les professionnels.
Elle affirme sans ciller que : Les psychiatres, psychologues cliniciens et psychothÈrapeutes ayant une formation clinique universitaire et/ou connexe exercent leur profession de faÃon intËgre. Sic ! Cest en toutes lettres page 41. Je viens de regarder les dix derniers dossiers de dÈontologie du SNPPsy (viol, abus sexuels, cruautÈ mentale) : trois concernent des psychothÈrapeutes mÈdecins et deux des psychologues cliniciens. Elle cite un propos inadmissible dun pseudo-thÈrapeute : Vous navancez pas dans votre thÈrapie parce que vous ne faites pas ce quil faut. Vous navez vraiment pas dÈcidÈ de guÈrir (p.60). Mais je me souviens davoir reÃu dans mon cabinet un client qui sÈtait entendu dire prÈcisÈment cela, et durement, par un psychologue clinicien diplÙme
Le clivage nest pas quentre pervers et diplÙmÈs, il est entre les pratiques : il y a les pratiques perverses, terriblement dangereuses, et les pratiques normales, bonnes, des vrais professionnels. La rÈalitÈ est Èvidemment bien plus continue. La plupart des professionnels (diplÙmÈs ou non) ne sont ni mauvais ni bons ; mÃme sils sont bons, il arrive quils se trompent, ne contrÙlent pas leurs rÈactions (leur contre-transfert), nen parlent pas en supervision parce quils ne sen rendent pas compte, etc. et ils ne sont pas pour autant dabominables leaders pathologiques. Le danger du livre est l‡ : faire croire que les praticiens sont soit bons, soit mauvais. Le plus grand danger Ètant de faire croire quil suffit dun diplÙme pour garantir quon fait partie des bons.
Car ainsi un lecteur, qui serait dÈj‡ engagÈ avec un diplÙmÈ, se voit interdire de brancher son esprit critique : Dans le cadre thÈrapeutique vrai et sain, le refus ou la difficultÈ ‡ accepter lÈnoncÈ fourni par le praticien de la psychothÈrapie normalement compÈtent, est en soi une rÈsistance (p.156). Serait-il impossible quun praticien normalement compÈtent se trompe ? Et que le patient le sente ?
Nous sommes l‡ devant une trËs ancienne contradiction de la psychanalyse :
UN : un patient qui critique son psychanalyste ou la psychanalyse est dans le transfert et dans la rÈsistance
DEUX : on reconnaÓt quil est difficile de former des psychanalystes et quil en est de mauvais ; on reconnaÓt que les psychanalystes peuvent se tromper
TROIS : la contradiction entre ces deux affirmations ne doit pas Ãtre ÈtudiÈe.
Freud a rendu possible cette contradiction en rejetant sa neurotica (1896) pour la remplacer par la thÈorie des pulsions. Lui-mÃme na jamais perdu tout contact avec le trauma ni avec son attitude de dÈpart (que ta-t-on fait mon pauvre enfant ?), mais beaucoup de ses disciples ont refoulÈ toute critique des parents et montÈ une garde vigilante contre tout retour du refoulÈ.
Dans son Ètude de Blanche-Neige, Bettelheim reconnaÓt que les parents narcissiques dÈtruisent leurs enfants, mais Ãa ne lempÃche pas danalyser que ce nest pas la reine qui est jalouse de Blanche-Neige, mais la jeune fille qui projette sa jalousie dipienne sur la mËre. De la mÃme faÃon, chez les narcissiques de Kemberg (*1), on trouve lorsquils ont deux ou trois ans, une absence de chaleur normale et dintÈrÃt pour autrui, et une attitude destructrice et brutale, anormale, trËs facilement activÈe. Mais lorsque plus tard, sur le divan, le narcissique accusera sa mËre dabsence de chaleur et dintÈrÃt etc., le psychanalyste entendra la haine pour la mËre dÈformÈe.
Cest la contradiction inhÈrente ‡ la thÈorie des pulsions :
- Il existe des parents qui traitent mal, aiment mal leurs enfants.
- Mais lorsquun analysant se plaint de ses parents, il est dans le fantasme et la projection de ses propres agressivitÈs : ce serait une erreur de le croire et une faute de le plaindre.
Ceci nous mËne ‡ la fameuse neutralitÈ bienveillante et au dogmatisme de Mme Maurer.
(Le pseudo-professionnel) est un sujet sÈducteur qui manie lempathie ( ) avec brio, donnant au client la satisfaction artificielle et incontournable dÃtre compris, ÈcoutÈ, soutenu (p.52). ( ) le vÈritable intÈrÃt que porte un professionnel compÈtent en respectant la neutralitÈ bienveillante (p.53). Dans labus dautoritÈ, le professionnel dÈviant contourne les rËgles qui se rattachent ‡ la neutralitÈ bienveillante. Celle-ci a ÈtÈ instaurÈe par Freud et nest contestÈe par aucune Ècole de psychothÈrapie. (p.88. v. aussi p.137).
Personne, en effet, ne conteste que le psychothÈrapeute doive Ãtre neutre ni quil doive Ãtre bienveillant. Mais on peut contester la neu-tra-li-tÈ-bien-veil-lante, expression toute faite et incantatoire o˘ chacun des deux mots perd son sens. Sous couvert de neutralitÈ bienveillante, on voit des psychanalystes chaleureux, et dautres qui sont glacÈs. La diffÈrence peut Ãtre considÈrable. Et ses effets dÈfinitifs. Mais, pour lauteure, ne pas dissimuler son Èmotion devant certaines souffrances subies par le patient, cest sortir de la neutralitÈ bienveillante. Les reprÈsentations quelle se fait de la compassion et de la sollicitude rendent ces deux attitudes incompatibles avec la neutralitÈbienveillante et donc avec lexercice de la psychothÈrapie : Nous avons dÈj‡ abordÈ limpact de la sollicitude, de la compassion, de la sÈduction dans le majoration du transfert (p.136). La compassion, la pitiÈ sont avant tout des ÈlÈments toxiques et contre-transfÈrentiels non traitÈs ( ) (p.138).
On peut soutenir linverse : que cest justement la neutralitÈ qui majore le transfert, surtout lorsquelle est froide. Mais pour Ètudier cette question, il faudrait pouvoir discuter entre praticiens de la neutralitÈ froide et praticiens de la neutralitÈ chaleureuse. Et on ne peut pas discuter avec des personnes dogmatiques.
Mme Maurer revendique que soit Ètablie la limite entre ce qui est un rÈfÈrentiel psychothÈrapique et ce qui ne lest plus (p.93), mais sa reprÈsentation du psychothÈrapique est Ètroite et sans cette base indispensable ( ) il est fort probable que loption proposÈe soit autre chose quune psychothÈrapie. Elle verrait volontiers exclure du psychothÈrapique toute pratique du toucher, tout travail en piscine, toute recherche denrichissement par les cultures non-occidentales, jusqu'‡ toute prise en compte de la dimension spirituelle (v. gr.94 sq., 171 sq.).
Voici un bon exemple de position dogmatique : Faut-il continuer ‡ inclure la transe (mise en transe des patients qui sont invitÈs ‡ danser sur des musiques trËs rythmÈes), la recherche de revÈcu des vies antÈrieures dans les pratiques dites psychothÈrapiques, ou ne sommes-nous pas sÈrieusement dans un autre domaine ? (p.96). Mme Maurer ne connaÓt pas ce dont elle parle et suggËre donc dexclure ce quelle ne connaÓt pas et dont elle nimagine pas les fondements. La danse sur musique rythmÈe produit des effets corporels, des modifications dans la chimie du cerveau et donc dans la disponibilitÈ du psychisme. Aucune raison de lexclure du travail psychothÈrapique. Quant aux vies antÈrieures et au transgÈnÈrationnel, aprËs avoir lu Grof, Ancelin-Schutzberger et Gaulejac, je ne vois pas comment on pourrait expÈdier tout cela dune pichenette dans les tÈnËbres extÈrieures : on peut Ãtre surpris, on peut sÈtonner de ne trouver aucune explication dans notre paradigme scientifique en cours, on peut dÈcider dÈcarter tout cela, mais on ne peut pas rejeter avec mÈpris. On ne peut pas affirmer que Ãa ne fait pas partie de la psychothÈrapie.
Il y a plus dangereux parce que plus concret :
- Le rythme des sÈances :
(p.97 et note) On ne peut parler de dÈmarche psychothÈrapique que si le praticien propose au patient un rendez-vous individuel par semaine* dune demi-heure ‡ trois quarts dheure minimum ( ).
*Les consultations qui sorganisent sur un rythme de quinze jours ( ) ne sont pas des procÈdures de psychothÈrapie ( ).
Les psychanalystes discutent encore si, ‡ moins de quatre sÈances par semaine il sagit bien de psychanalyse ! Mais pour des raisons purement Èconomiques, ils en sont venus, comme tout le monde, ‡ travailler sur une sÈance hebdomadaire. En appelant cela psychothÈrapie. Actuellement ce rythme semble le plus rÈpandu. Mais quantitÈ dexceptions sont possibles en fonction de nombreux facteurs, en particulier le passÈ thÈrapeutique du client. Quoi qu'il en soit, il en ressort que, pour l'auteure, on est un vrai professionnel que si on fait comme elle dit.
- La tenue vestimentaire
Conseils au candidat ‡ une psychothÈrapie, se poser la question suivante : Iriez-vous travailler dans la mÃme tenue que celle quil porte lorsquil vous reÃoit ? (p.292). Ironisons : ‡ quand lobligation du costume trois piËces avec cravate ou du tailleur Chanel ? Certes, on voit bien ce quelle veut dire : il y en a qui exagËrent Mais ce nest pas ce quelle Ècrit !
- Patient ou client ?
Pour Mme Maurer, en psychothÈrapie, les gens sont des patients, pas des clients. Dans la procÈdure dÈviante, le patient devient aux yeux du pseudoprofessionnel un simple client, un objet de gain financier (p.53). Ironisons encore : il narrive jamais quaux yeux dun psychiatre ou dun psychologue clinicien, le patient soit surtout un objet de gain financier ! Mme Maurer peut bien avoir les reprÈsentations quelle veut des concepts de patient et de client, mais elle ne peut pas prÈtendre que sa reprÈsentation soit la seule juste ! Nous sommes nombreux ‡ parler de clients plutÙt que de patients, et, en ce qui me concerne, je sais pourquoi : parce que je ne me ressens pas comme un soigneur de malades, mais comme un sujet avec un autre sujet. La dissymÈtrie de la relation nimplique pas dinÈgalitÈ. Dans ma reprÈsentation du concept de patient, il y a non seulement dissymÈtrie, mais inÈgalitÈ. Le client, lui, a peut-Ãtre sur cette question (ÈgalitÈ ou inÈgalitÈ) des reprÈsentations diffÈrentes, mais cela sera un jour ou lautre travaillÈ dans la relation.
Les solutions proposÈes : un dÈsastre !
Dans une troisiËme partie, Des rËgles pour une profession, lauteure propose de renforcer les critËres de la profession (chapitre IX). Trois moyens pour cela : cinq critËres, treize interdits et cerise sur le g‚teau : des tests de personnalitÈ !
Cinq critËres :
Comme ils ne sont que cinq, je les citerai en les commentant un par un : (p.215 sqq.) Proposition de cinq critËres cliniques fondamentaux pour Ãtre psychothÈrapeute ( ). Ces critËres sont les suivants :
-Ãtre porteur dun refoulement rÈussi de sa propre sexualitÈ infantile. Le psychothÈrapeute gagne donc ‡ avoir effectuÈ un travail thÈrapeutique suffisamment structurant pour lui-mÃme et ‡ avoir explorÈ, identifiÈ et rÈgulÈ ses zones pathologiques.
Acceptons la seconde phrase, sauf le gagne ‡, trËs insuffisant ; ce nest pas quil y gagne : il sagit dune condition sine qua non de lexercice de la profession. La premiËre phrase, un refoulement rÈussi de la sexualitÈ infantile, est inacceptable. Elle ne signifie rien hors de la thÈorie freudienne, qui, rÈpÈtons-le, ne constitue pas en totalitÈ un savoir sur lhomme ; mais un ensemble de propositions historiquement datÈes et dont nul ne peut aujourdhui dire ce qui restera comme savoir. Si Freud avait vÈcu ‡ une autre Èpoque que la sienne, la thÈorie du dÈveloppement quil a construite ne serait pas la mÃme. Il ne sagit pas de nier la sexualitÈ infantile facilement observable, mais de rappeler que la sexualitÈ des enfants dÈpend de la culture ambiante ‡ lÈgard de la sexualitÈ : la premiËre fois que le futur Louis XIII fait dans ses draps une carte de France, on publie cet heureux ÈvÈnement ; au temps de Freud, on vit boutonnÈ jusquau cou et les hommes suivent les femmes dans la rue dans lespoir dapercevoir une cheville ; aujourdhui une femme normale peut draguer et passer une nuit avec un homme quelle oubliera le lendemain. Il est Èvident que le statut de la sexualitÈ dans lÈducation des enfants nest pas le mÃme dans lun et lautre cas. Evident aussi que les soins aux bÈbÈs puis lapprentissage de la propretÈ varient beaucoup selon les lieux et les temps. Ce qui chez Freud est dit oral, anal, phallique, etc. varie selon les sociÈtÈs. Donc ce critËre, Ãtre porteur dun refoulement rÈussi de sa propre sexualitÈ infantile est sans aucune valeur. ¿ tout prendre, il vaudrait mieux dire : nÃtre ni nÈvrosÈ, ni pervers : on ne serait guËre plus avancÈ, mais au moins on ne serait pas enfermÈ dans une thÈorie ‡ bien des Ègards pÈrimÈe. Une autre critique quon peut faire ‡ ce critËre est quil est invÈrifiable.
-Ãtre dans la capacitÈ de reconnaÓtre le patient comme sujet pensant et individuÈ et Èprouver pour ses patients une rÈelle empathie liÈe ‡ une estime, un respect fondamental de tout Ãtre humain en tant que personne adulte, responsable ( ).
On ne peut quÃtre daccord, Malheureusement, cest difficile ‡ vÈrifier. Or, le propre dun critËre est de pouvoir Ãtre vÈrifiÈ.
- Ãtre en accord avec le discours culturel et un discours professionnel partagÈ par un ensemble socialement acceptÈ et reconnu.
Cest l‡ rien moins quune proposition de clivage intÈrieur/extÈrieur. Une exigence de conformisme. Aucune crÈativitÈ, aucune invention, aucune variance nest possible avec un tel critËre.
-pouvoir confronter son discours au discours dun tiers qui lui permettra dextraire son langage de toute assertion dans larbitraire et introduira une triangulation au sein de lapparente dualitÈ relationnelle avec le patient.
Voil‡ une faÃon bien sophistiquÈe de dire que le psychothÈrapeute doit Ãtre constamment en supervision, quelle que soit son expÈrience. Pour Ãtre membre titulaire du SNPPsy, il faut prouver quon est rÈguliËrement en supervision. Cela, au moins, est vÈrifiable.
-avoir la capacitÈ de respecter les interdits et la capacitÈ de respecter les rËgles dÈontologiques, professionnelles, sociales.
Mme Maurer ne doit pas savoir ce que cest quun critËre. Comment vÈrifier que quelquun a la capacitÈ de . On peut seulement Ètablir une liste dactes dont on dira que si un psychothÈrapeute en commet un, il nest plus digne dexercer la psychothÈrapie. Quels que soient ses diplÙmes !
AprËs les cinq critËres, 13 interdits trËs interdits. Pages 217 ‡ 222.
Faute de pouvoir les recopier et commenter, je les rÈsume en les interprÈtant de maniËre ‡ en faire ressortir le caractËre irrÈaliste ou dogmatique :
1- DÈfense dutiliser le patient ‡ une fin narcissique fusionnelle, Èrotique ou sexuelle.
2- DÈfense de mettre le patient en dÈpendance dÈlirante (est dÈlirant ce que lauteure juge dÈlirant).
3- DÈfense de se mettre au centre.
4- DÈfense dutiliser le patient ‡ une fin narcissique, en particulier, dÈfense dinverser les rÙles.
5- DÈfense de stimuler le patient ‡ se croire dans une dette symbolique avec le psychothÈrapeute.
6- DÈfense dexercer une emprise. (En particulier, respect de la libertÈ complËte du patient de venir ( ) et de partir quand bon lui semble).
7- Linterdit de la captation du dÈsir inconscient du patient pour le passer ‡ lacte. Il sagit ici de linterdit de la prÈdation (sic).
8- DÈfense dattaquer lidentitÈ du patient en lui infligeant des diagnostics et des Èvaluations.
9- DÈfense de laisser des clients perdre contact avec les interdits fondamentaux (inceste, homicide, suicide ).
10- Linterdit de relier la prÈsence dune chose, quelle quelle soit, ‡ un ordre causal antagoniste avec la logique selon laquelle se dÈveloppe le discours de lensemble de la sociÈtÈ. Ce que je reformulerai ainsi : dÈfense de sÈcarter de lidÈologie dominante ; dÈfense de chercher, dinventer, dÃtre crÈatif (peut-on Ãtre psychothÈrapeute en veillant ‡ ne pas Ãtre crÈatif ?). Si Freud avait respectÈ cet interdit, il ny aurait pas de psychanalyse !
11- DÈfense de soumettre le client ‡ un double bind et de tenir des discours hermÈtiques ou dÈstabilisants.
12- DÈfense dasservir ‡ une sous-culture.
13- DÈfense de se substituer aux vÈritables parents du client, ou de lui proposer des relations hors du cadre de la relation thÈrapeutique. Cet interdit, que japprouve, va jusqu'‡ exclure relation de travail, adhÈsion commune ‡ une association, participation aux mÃmes formations, congrËs, etc. Il est peut-Ãtre excessif de gÈnÈraliser et de dÈtailler ainsi, mais cela devrait permettre de reposer le problËme de ces psychothÈrapeutes qui prennent leurs propres clients en formation.
Enfin, la cerise sur le g‚teau :
Tests de personnalitÈ pour un droit de pratique. Pages 222-223.
Nous sommes en plein totalitarisme ! Mais, en vÈritÈ, pourquoi limiter cette exigence ‡ la pratique de la psychothÈrapie ? On la envisagÈe jadis pour les enseignants, elle serait bienvenue pour les prÃtres, les policiers, les politiciens, les chefs de bureau...
Conclusion
Je ne sais trop, aprËs avoir ainsi ÈtudiÈ cet ouvrage, si lauteure est naÔve, et inexpÈrimentÈe, ou aussi un peu stratËge... Certes, sa hargne contre les pseudo est sincËre et justifiÈe, mais elle doit bien Ãtre consciente aussi quelle les mÈnage plus que de raison, ces diplÙmÈs dont elle compte faire partie sous peu... Mais surtout, avec quelle naÔve sincÈritÈ elle croit que la psychothÈrapie cest ce quon lui a dit que cÈtait et pas autre chose !
PlutÙt pertinent.
Actua-Psy, le journal des psychothÈrapeutes - N∞ 119
Comment choisir son psychothÈrapeute ? Attention risque de pratiques dÈviantes !
Par Martine Maurer Lecture critique de Patrice Ranjard
Comment choisir son psychothÈrapeute ? Le titre est excellent. Il a probablement fait vendre. On peut le craindre, car le livre ne tient pas la promesse du titre. Le vrai titre serait : Il faut interdire ‡ certains pervers dangereux de se dire psychothÈrapeutes. Au reste, lauteure le dit dans sa conclusion (p.287) : Il nest pas acceptable que des professions estimables servent de laisser-passer ‡ des leaders pathologiques qui embrigadent les patients dans des dÈrives perverses ou sectaires.
Le plus gros du livre Èvoque les choses effarantes dont sont capables des pervers une fois quils ont attirÈ des clients en se disant psychothÈrapeutes. Mais tout est faussÈ dËs le dÈpart par un clivage prÈalable qui oppose ces pseudo-professionnels aux vrais professionnels. Or les moyens donnÈs au lecteur de distinguer les uns des autres sont trompeurs. Du cÙtÈ des vrais professionnels lauteure place les psychiatres et les psychologues cliniciens, plus une catÈgorie quelle nomme les psychothÈrapeutes NMNP, ni mÈdecins ni psychologues. Dont elle fait provisoirement partie, puisque, daprËs la quatriËme de couverture, elle est inscrite en DESS.
Je ne peux que me rÈjouir de voir prise en compte une catÈgorie dont je fais Ègalement partie. Lennui cest que, selon cette classification, les pervers font forcÈment partie de cette mÃme catÈgorie, puisquils sont de pseudo professionnels et que les diplÙmÈs sont de vrais professionnels. Ce nÈtait peut-Ãtre pas lintention consciente de lauteure, qui Ècrit p.46 que les dÈviances rÈpertoriÈes touchent des individus issus des trois catÈgories de praticiens, mais cest ce qui ressort de son livre : les diplÙmÈs sont fiables, ils ne sont jamais fous ni pervers.
AprËs un bref hommage ‡ quelques bonnes pages, je prÈsenterai le clivage et sa fonction, puis le dogmatisme de louvrage et ses dangers et enfin les solutions prÈconisÈes par lauteure.
Quelques bonnes pages.
Une bonne dÈfinition de la psychothÈrapie (p.22), de pertinentes questions sur la formation dans les Ècoles (p.45), une observation sur lÈtonnante capacitÈ des clients ‡ sadapter ‡ des comportements pourtant vraiment inadmissibles (p.122) et un excellent chapitre sur les contraintes, engagements et abus financiers : Le patient na pas ‡ Ãtre soumis ‡ des exigences de durÈe ( ). Le patient na pas ‡ Ãtre soumis ‡ des obligations de financements anticipÈs ( ) (p.123). Mais lauteure ne semble pas sapercevoir que ce chapitre contient de prÈcieux ÈlÈments de rÈponse ‡ la question du titre : des questions ‡ poser avant de sengager.
Un clivage protÈgeant les diplÙmÈs
La plus grande partie du livre est consacrÈe ‡ dÈcrire des pratiques inacceptables. Quelques exemples : la prÈdation du transfert, manipulation mentale, abus financiers, lÈtau de la fidÈlitÈ, rapt du thÈrapeutique, processus dÈlirants Ces personnes dÈviantes opËrent une cannibalisation du transfert, une dÈvoration de la pensÈe dautrui (p.70). La grandiloquence hystÈrique ou narcissique du pseudo-thÈrapeute ou ses ÈlÈments psychotiques envahissent le champ de rÈflexion et de mise en sens du patient (p.55). Il semble que lauteure rËgle des comptes : on sent de la haine. Les exemples sont nombreux, convaincants, mais souvent longs et leur origine est maintenue dans le flou : certains sites, plusieurs lieux. Ce nest pas quon en doute, et lon peut comprendre les prÈcautions (risques de procËs), mais il y a tout de mÃme quelque chose de gÃnant ‡ se voir assÈner des exemples sans que rien ne soit dit du mode de recueil des informations.
Il existe donc des pervers dangereux qui se disent psychothÈrapeutes. Mais ‡ quoi les reconnaÓt-on ? Le livre les dÈcrit, mais ses descriptions ne pourraient Ãtre utiles qu‡ des patients dÈj‡ engagÈs avec ces pervers. Or, sils y sont encore, cest quils ont prÈfÈrÈ sadapter ! Pour ceux qui nont pas encore choisi, le livre contient un syllogisme, explicite dËs les premiËres pages, et en filigrane tout au long :
1 les pervers dangereux sont des non-professionnels ou des pseudoprofessionnels.
2 les diplÙmÈs sont des professionnels, ils ne sont pas des pseudoprofessionnels.
3 donc les diplÙmÈs ne sont pas des pervers dangereux.
Lauteure dÈfinit dans une note les non-professionnels : personnes se disant psychothÈrapeutes et nayant aucune formation, supervision et thÈrapie personnelle associÈes (sic) (n.17 p.35). Selon cette dÈfinition, les diplÙmÈs, qui sont de vrais professionnels ont formation, supervision et thÈrapie personnelle. Or daprËs lauteure elle-mÃme, ce nest pas exact : Certains psychologues cliniciens exercent uniquement ‡ partir de leur savoir thÈorique ( ). Certains recourent ‡ de la supervision rÈguliËre ( ). Actuellement, pour les psychologues cliniciens, il ny a pas dobligation de psychothÈrapie personnelle ( ) (p.32). Il faudra attendre la fin du livre pour dÈcouvrir que lauteure napprouve pas cela, et prÈconise thÈrapie personnelle et supervision pour les professionnels.
Elle affirme sans ciller que : Les psychiatres, psychologues cliniciens et psychothÈrapeutes ayant une formation clinique universitaire et/ou connexe exercent leur profession de faÃon intËgre. Sic ! Cest en toutes lettres page 41. Je viens de regarder les dix derniers dossiers de dÈontologie du SNPPsy (viol, abus sexuels, cruautÈ mentale) : trois concernent des psychothÈrapeutes mÈdecins et deux des psychologues cliniciens. Elle cite un propos inadmissible dun pseudo-thÈrapeute : Vous navancez pas dans votre thÈrapie parce que vous ne faites pas ce quil faut. Vous navez vraiment pas dÈcidÈ de guÈrir (p.60). Mais je me souviens davoir reÃu dans mon cabinet un client qui sÈtait entendu dire prÈcisÈment cela, et durement, par un psychologue clinicien diplÙme
Le clivage nest pas quentre pervers et diplÙmÈs, il est entre les pratiques : il y a les pratiques perverses, terriblement dangereuses, et les pratiques normales, bonnes, des vrais professionnels. La rÈalitÈ est Èvidemment bien plus continue. La plupart des professionnels (diplÙmÈs ou non) ne sont ni mauvais ni bons ; mÃme sils sont bons, il arrive quils se trompent, ne contrÙlent pas leurs rÈactions (leur contre-transfert), nen parlent pas en supervision parce quils ne sen rendent pas compte, etc. et ils ne sont pas pour autant dabominables leaders pathologiques. Le danger du livre est l‡ : faire croire que les praticiens sont soit bons, soit mauvais. Le plus grand danger Ètant de faire croire quil suffit dun diplÙme pour garantir quon fait partie des bons.
Car ainsi un lecteur, qui serait dÈj‡ engagÈ avec un diplÙmÈ, se voit interdire de brancher son esprit critique : Dans le cadre thÈrapeutique vrai et sain, le refus ou la difficultÈ ‡ accepter lÈnoncÈ fourni par le praticien de la psychothÈrapie normalement compÈtent, est en soi une rÈsistance (p.156). Serait-il impossible quun praticien normalement compÈtent se trompe ? Et que le patient le sente ?
Nous sommes l‡ devant une trËs ancienne contradiction de la psychanalyse :
UN : un patient qui critique son psychanalyste ou la psychanalyse est dans le transfert et dans la rÈsistance
DEUX : on reconnaÓt quil est difficile de former des psychanalystes et quil en est de mauvais ; on reconnaÓt que les psychanalystes peuvent se tromper
TROIS : la contradiction entre ces deux affirmations ne doit pas Ãtre ÈtudiÈe.
Freud a rendu possible cette contradiction en rejetant sa neurotica (1896) pour la remplacer par la thÈorie des pulsions. Lui-mÃme na jamais perdu tout contact avec le trauma ni avec son attitude de dÈpart (que ta-t-on fait mon pauvre enfant ?), mais beaucoup de ses disciples ont refoulÈ toute critique des parents et montÈ une garde vigilante contre tout retour du refoulÈ.
Dans son Ètude de Blanche-Neige, Bettelheim reconnaÓt que les parents narcissiques dÈtruisent leurs enfants, mais Ãa ne lempÃche pas danalyser que ce nest pas la reine qui est jalouse de Blanche-Neige, mais la jeune fille qui projette sa jalousie dipienne sur la mËre. De la mÃme faÃon, chez les narcissiques de Kemberg (*1), on trouve lorsquils ont deux ou trois ans, une absence de chaleur normale et dintÈrÃt pour autrui, et une attitude destructrice et brutale, anormale, trËs facilement activÈe. Mais lorsque plus tard, sur le divan, le narcissique accusera sa mËre dabsence de chaleur et dintÈrÃt etc., le psychanalyste entendra la haine pour la mËre dÈformÈe.
Cest la contradiction inhÈrente ‡ la thÈorie des pulsions :
- Il existe des parents qui traitent mal, aiment mal leurs enfants.
- Mais lorsquun analysant se plaint de ses parents, il est dans le fantasme et la projection de ses propres agressivitÈs : ce serait une erreur de le croire et une faute de le plaindre.
Ceci nous mËne ‡ la fameuse neutralitÈ bienveillante et au dogmatisme de Mme Maurer.
(Le pseudo-professionnel) est un sujet sÈducteur qui manie lempathie ( ) avec brio, donnant au client la satisfaction artificielle et incontournable dÃtre compris, ÈcoutÈ, soutenu (p.52). ( ) le vÈritable intÈrÃt que porte un professionnel compÈtent en respectant la neutralitÈ bienveillante (p.53). Dans labus dautoritÈ, le professionnel dÈviant contourne les rËgles qui se rattachent ‡ la neutralitÈ bienveillante. Celle-ci a ÈtÈ instaurÈe par Freud et nest contestÈe par aucune Ècole de psychothÈrapie. (p.88. v. aussi p.137).
Personne, en effet, ne conteste que le psychothÈrapeute doive Ãtre neutre ni quil doive Ãtre bienveillant. Mais on peut contester la neu-tra-li-tÈ-bien-veil-lante, expression toute faite et incantatoire o˘ chacun des deux mots perd son sens. Sous couvert de neutralitÈ bienveillante, on voit des psychanalystes chaleureux, et dautres qui sont glacÈs. La diffÈrence peut Ãtre considÈrable. Et ses effets dÈfinitifs. Mais, pour lauteure, ne pas dissimuler son Èmotion devant certaines souffrances subies par le patient, cest sortir de la neutralitÈ bienveillante. Les reprÈsentations quelle se fait de la compassion et de la sollicitude rendent ces deux attitudes incompatibles avec la neutralitÈbienveillante et donc avec lexercice de la psychothÈrapie : Nous avons dÈj‡ abordÈ limpact de la sollicitude, de la compassion, de la sÈduction dans le majoration du transfert (p.136). La compassion, la pitiÈ sont avant tout des ÈlÈments toxiques et contre-transfÈrentiels non traitÈs ( ) (p.138).
On peut soutenir linverse : que cest justement la neutralitÈ qui majore le transfert, surtout lorsquelle est froide. Mais pour Ètudier cette question, il faudrait pouvoir discuter entre praticiens de la neutralitÈ froide et praticiens de la neutralitÈ chaleureuse. Et on ne peut pas discuter avec des personnes dogmatiques.
Mme Maurer revendique que soit Ètablie la limite entre ce qui est un rÈfÈrentiel psychothÈrapique et ce qui ne lest plus (p.93), mais sa reprÈsentation du psychothÈrapique est Ètroite et sans cette base indispensable ( ) il est fort probable que loption proposÈe soit autre chose quune psychothÈrapie. Elle verrait volontiers exclure du psychothÈrapique toute pratique du toucher, tout travail en piscine, toute recherche denrichissement par les cultures non-occidentales, jusqu'‡ toute prise en compte de la dimension spirituelle (v. gr.94 sq., 171 sq.).
Voici un bon exemple de position dogmatique : Faut-il continuer ‡ inclure la transe (mise en transe des patients qui sont invitÈs ‡ danser sur des musiques trËs rythmÈes), la recherche de revÈcu des vies antÈrieures dans les pratiques dites psychothÈrapiques, ou ne sommes-nous pas sÈrieusement dans un autre domaine ? (p.96). Mme Maurer ne connaÓt pas ce dont elle parle et suggËre donc dexclure ce quelle ne connaÓt pas et dont elle nimagine pas les fondements. La danse sur musique rythmÈe produit des effets corporels, des modifications dans la chimie du cerveau et donc dans la disponibilitÈ du psychisme. Aucune raison de lexclure du travail psychothÈrapique. Quant aux vies antÈrieures et au transgÈnÈrationnel, aprËs avoir lu Grof, Ancelin-Schutzberger et Gaulejac, je ne vois pas comment on pourrait expÈdier tout cela dune pichenette dans les tÈnËbres extÈrieures : on peut Ãtre surpris, on peut sÈtonner de ne trouver aucune explication dans notre paradigme scientifique en cours, on peut dÈcider dÈcarter tout cela, mais on ne peut pas rejeter avec mÈpris. On ne peut pas affirmer que Ãa ne fait pas partie de la psychothÈrapie.
Il y a plus dangereux parce que plus concret :
- Le rythme des sÈances :
(p.97 et note) On ne peut parler de dÈmarche psychothÈrapique que si le praticien propose au patient un rendez-vous individuel par semaine* dune demi-heure ‡ trois quarts dheure minimum ( ).
*Les consultations qui sorganisent sur un rythme de quinze jours ( ) ne sont pas des procÈdures de psychothÈrapie ( ).
Les psychanalystes discutent encore si, ‡ moins de quatre sÈances par semaine il sagit bien de psychanalyse ! Mais pour des raisons purement Èconomiques, ils en sont venus, comme tout le monde, ‡ travailler sur une sÈance hebdomadaire. En appelant cela psychothÈrapie. Actuellement ce rythme semble le plus rÈpandu. Mais quantitÈ dexceptions sont possibles en fonction de nombreux facteurs, en particulier le passÈ thÈrapeutique du client. Quoi qu'il en soit, il en ressort que, pour l'auteure, on est un vrai professionnel que si on fait comme elle dit.
- La tenue vestimentaire
Conseils au candidat ‡ une psychothÈrapie, se poser la question suivante : Iriez-vous travailler dans la mÃme tenue que celle quil porte lorsquil vous reÃoit ? (p.292). Ironisons : ‡ quand lobligation du costume trois piËces avec cravate ou du tailleur Chanel ? Certes, on voit bien ce quelle veut dire : il y en a qui exagËrent Mais ce nest pas ce quelle Ècrit !
- Patient ou client ?
Pour Mme Maurer, en psychothÈrapie, les gens sont des patients, pas des clients. Dans la procÈdure dÈviante, le patient devient aux yeux du pseudoprofessionnel un simple client, un objet de gain financier (p.53). Ironisons encore : il narrive jamais quaux yeux dun psychiatre ou dun psychologue clinicien, le patient soit surtout un objet de gain financier ! Mme Maurer peut bien avoir les reprÈsentations quelle veut des concepts de patient et de client, mais elle ne peut pas prÈtendre que sa reprÈsentation soit la seule juste ! Nous sommes nombreux ‡ parler de clients plutÙt que de patients, et, en ce qui me concerne, je sais pourquoi : parce que je ne me ressens pas comme un soigneur de malades, mais comme un sujet avec un autre sujet. La dissymÈtrie de la relation nimplique pas dinÈgalitÈ. Dans ma reprÈsentation du concept de patient, il y a non seulement dissymÈtrie, mais inÈgalitÈ. Le client, lui, a peut-Ãtre sur cette question (ÈgalitÈ ou inÈgalitÈ) des reprÈsentations diffÈrentes, mais cela sera un jour ou lautre travaillÈ dans la relation.
Les solutions proposÈes : un dÈsastre !
Dans une troisiËme partie, Des rËgles pour une profession, lauteure propose de renforcer les critËres de la profession (chapitre IX). Trois moyens pour cela : cinq critËres, treize interdits et cerise sur le g‚teau : des tests de personnalitÈ !
Cinq critËres :
Comme ils ne sont que cinq, je les citerai en les commentant un par un : (p.215 sqq.) Proposition de cinq critËres cliniques fondamentaux pour Ãtre psychothÈrapeute ( ). Ces critËres sont les suivants :
-Ãtre porteur dun refoulement rÈussi de sa propre sexualitÈ infantile. Le psychothÈrapeute gagne donc ‡ avoir effectuÈ un travail thÈrapeutique suffisamment structurant pour lui-mÃme et ‡ avoir explorÈ, identifiÈ et rÈgulÈ ses zones pathologiques.
Acceptons la seconde phrase, sauf le gagne ‡, trËs insuffisant ; ce nest pas quil y gagne : il sagit dune condition sine qua non de lexercice de la profession. La premiËre phrase, un refoulement rÈussi de la sexualitÈ infantile, est inacceptable. Elle ne signifie rien hors de la thÈorie freudienne, qui, rÈpÈtons-le, ne constitue pas en totalitÈ un savoir sur lhomme ; mais un ensemble de propositions historiquement datÈes et dont nul ne peut aujourdhui dire ce qui restera comme savoir. Si Freud avait vÈcu ‡ une autre Èpoque que la sienne, la thÈorie du dÈveloppement quil a construite ne serait pas la mÃme. Il ne sagit pas de nier la sexualitÈ infantile facilement observable, mais de rappeler que la sexualitÈ des enfants dÈpend de la culture ambiante ‡ lÈgard de la sexualitÈ : la premiËre fois que le futur Louis XIII fait dans ses draps une carte de France, on publie cet heureux ÈvÈnement ; au temps de Freud, on vit boutonnÈ jusquau cou et les hommes suivent les femmes dans la rue dans lespoir dapercevoir une cheville ; aujourdhui une femme normale peut draguer et passer une nuit avec un homme quelle oubliera le lendemain. Il est Èvident que le statut de la sexualitÈ dans lÈducation des enfants nest pas le mÃme dans lun et lautre cas. Evident aussi que les soins aux bÈbÈs puis lapprentissage de la propretÈ varient beaucoup selon les lieux et les temps. Ce qui chez Freud est dit oral, anal, phallique, etc. varie selon les sociÈtÈs. Donc ce critËre, Ãtre porteur dun refoulement rÈussi de sa propre sexualitÈ infantile est sans aucune valeur. ¿ tout prendre, il vaudrait mieux dire : nÃtre ni nÈvrosÈ, ni pervers : on ne serait guËre plus avancÈ, mais au moins on ne serait pas enfermÈ dans une thÈorie ‡ bien des Ègards pÈrimÈe. Une autre critique quon peut faire ‡ ce critËre est quil est invÈrifiable.
-Ãtre dans la capacitÈ de reconnaÓtre le patient comme sujet pensant et individuÈ et Èprouver pour ses patients une rÈelle empathie liÈe ‡ une estime, un respect fondamental de tout Ãtre humain en tant que personne adulte, responsable ( ).
On ne peut quÃtre daccord, Malheureusement, cest difficile ‡ vÈrifier. Or, le propre dun critËre est de pouvoir Ãtre vÈrifiÈ.
- Ãtre en accord avec le discours culturel et un discours professionnel partagÈ par un ensemble socialement acceptÈ et reconnu.
Cest l‡ rien moins quune proposition de clivage intÈrieur/extÈrieur. Une exigence de conformisme. Aucune crÈativitÈ, aucune invention, aucune variance nest possible avec un tel critËre.
-pouvoir confronter son discours au discours dun tiers qui lui permettra dextraire son langage de toute assertion dans larbitraire et introduira une triangulation au sein de lapparente dualitÈ relationnelle avec le patient.
Voil‡ une faÃon bien sophistiquÈe de dire que le psychothÈrapeute doit Ãtre constamment en supervision, quelle que soit son expÈrience. Pour Ãtre membre titulaire du SNPPsy, il faut prouver quon est rÈguliËrement en supervision. Cela, au moins, est vÈrifiable.
-avoir la capacitÈ de respecter les interdits et la capacitÈ de respecter les rËgles dÈontologiques, professionnelles, sociales.
Mme Maurer ne doit pas savoir ce que cest quun critËre. Comment vÈrifier que quelquun a la capacitÈ de . On peut seulement Ètablir une liste dactes dont on dira que si un psychothÈrapeute en commet un, il nest plus digne dexercer la psychothÈrapie. Quels que soient ses diplÙmes !
AprËs les cinq critËres, 13 interdits trËs interdits. Pages 217 ‡ 222.
Faute de pouvoir les recopier et commenter, je les rÈsume en les interprÈtant de maniËre ‡ en faire ressortir le caractËre irrÈaliste ou dogmatique :
1- DÈfense dutiliser le patient ‡ une fin narcissique fusionnelle, Èrotique ou sexuelle.
2- DÈfense de mettre le patient en dÈpendance dÈlirante (est dÈlirant ce que lauteure juge dÈlirant).
3- DÈfense de se mettre au centre.
4- DÈfense dutiliser le patient ‡ une fin narcissique, en particulier, dÈfense dinverser les rÙles.
5- DÈfense de stimuler le patient ‡ se croire dans une dette symbolique avec le psychothÈrapeute.
6- DÈfense dexercer une emprise. (En particulier, respect de la libertÈ complËte du patient de venir ( ) et de partir quand bon lui semble).
7- Linterdit de la captation du dÈsir inconscient du patient pour le passer ‡ lacte. Il sagit ici de linterdit de la prÈdation (sic).
8- DÈfense dattaquer lidentitÈ du patient en lui infligeant des diagnostics et des Èvaluations.
9- DÈfense de laisser des clients perdre contact avec les interdits fondamentaux (inceste, homicide, suicide ).
10- Linterdit de relier la prÈsence dune chose, quelle quelle soit, ‡ un ordre causal antagoniste avec la logique selon laquelle se dÈveloppe le discours de lensemble de la sociÈtÈ. Ce que je reformulerai ainsi : dÈfense de sÈcarter de lidÈologie dominante ; dÈfense de chercher, dinventer, dÃtre crÈatif (peut-on Ãtre psychothÈrapeute en veillant ‡ ne pas Ãtre crÈatif ?). Si Freud avait respectÈ cet interdit, il ny aurait pas de psychanalyse !
11- DÈfense de soumettre le client ‡ un double bind et de tenir des discours hermÈtiques ou dÈstabilisants.
12- DÈfense dasservir ‡ une sous-culture.
13- DÈfense de se substituer aux vÈritables parents du client, ou de lui proposer des relations hors du cadre de la relation thÈrapeutique. Cet interdit, que japprouve, va jusqu'‡ exclure relation de travail, adhÈsion commune ‡ une association, participation aux mÃmes formations, congrËs, etc. Il est peut-Ãtre excessif de gÈnÈraliser et de dÈtailler ainsi, mais cela devrait permettre de reposer le problËme de ces psychothÈrapeutes qui prennent leurs propres clients en formation.
Enfin, la cerise sur le g‚teau :
Tests de personnalitÈ pour un droit de pratique. Pages 222-223.
Nous sommes en plein totalitarisme ! Mais, en vÈritÈ, pourquoi limiter cette exigence ‡ la pratique de la psychothÈrapie ? On la envisagÈe jadis pour les enseignants, elle serait bienvenue pour les prÃtres, les policiers, les politiciens, les chefs de bureau...
Conclusion
Je ne sais trop, aprËs avoir ainsi ÈtudiÈ cet ouvrage, si lauteure est naÔve, et inexpÈrimentÈe, ou aussi un peu stratËge... Certes, sa hargne contre les pseudo est sincËre et justifiÈe, mais elle doit bien Ãtre consciente aussi quelle les mÈnage plus que de raison, ces diplÙmÈs dont elle compte faire partie sous peu... Mais surtout, avec quelle naÔve sincÈritÈ elle croit que la psychothÈrapie cest ce quon lui a dit que cÈtait et pas autre chose !